Evelyne Dioh SIMPA est la directrice de WIC Capital. C’est une professionnelle de l’investissement expérimentée qui rejoint WIC Capital du FONSIS, le fonds souverain stratégique du Sénégal, où elle a mené des investissements dans divers secteurs tels que l’industrie, les énergies renouvelables et l’agriculture. Elle a précédemment travaillé à l’Inspection Générale du Groupe Société Générale. Elle est diplômée de l’EDHEC Business School en France, qu’elle a rejoint après ses classes préparatoires au Lycée Louis le Grand.
Pouvez-vous nous faire une présentation de WIC Capital
WIC Capital est le premier fonds d’investissement, en Afrique de l’Ouest Francophone, à cibler exclusivement les petites et moyennes entreprises (PME) portées par des femmes. Le fonds a été mis en place par le Women’s Investment Club (WIC) Sénégal en 2019, un groupe de 86 femmes qui ont mis leur expertise et leur épargne en commun pour renforcer la participation des femmes à la croissance économique du Sénégal et de l’Afrique. Le WIC a pour vision de donner aux femmes un accès privilégié aux instruments financiers modernes au service d’un développement économique inclusif. A ce jour, le WIC Sénégal a mobilisé une épargne de plus de six cents (600) millions de FCFA investis dans la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) et dans WIC Capital.
WIC Capital est un véhicule d’investissement de 8 milliards de FCFA, qui investit, sous forme de fonds propres et quasi fonds propres, des montants allant de 25 millions de FCFA à 125 millions de FCFA, sur une période de 6 à 7 ans, dans des PMEs dirigées par des femmes au Sénégal et en Côte d’Ivoire, dans une large variété de secteurs d’activité.
Notre objectif est d’identifier, de nourrir et de développer un portefeuille de PME prometteuses, en phase de démarrage, mais également de veiller à ce qu’elles deviennent des entreprises à forte croissance économique qui peuvent participer à l’expansion de l’économie du Sénégal, de la Côte d’Ivoire et plus globalement de l’Afrique.
L’assistance technique apportée aux entreprises de notre portefeuille est un élément essentiel du modèle d’affaires de WIC Capital : elle permet la mitigation des risques inhérents à l’investissement en capital dans des entreprises en amorçage. Cet appui technique est apporté par l’ensemble des membres des WIC Sénégal et Côte d’Ivoire et par la WIC Académie. La WIC Académie est la structure d’assistance technique mise en place par WIC Sénégal, pour soutenir les entreprises sénégalaises dirigées par des femmes et les doter de l’expertise nécessaire pour atteindre une croissance durable significative, et ainsi créer de l’emploi et de la richesse pour le Sénégal.
Les ressources financières de WIC Capital sont renforcées par les ressources de nos partenaires financiers, comme l’USAID, le FMO (la banque de développement néerlandaise) et la Délégation à l’Entrepreneuriat Rapide du Sénégal (DER). Cette dernière a mis à la disposition de WIC Capital une ligne de crédit de 500 millions de FCFA pour le financement en dette des sociétés de portefeuille du fonds.
WIC CAPITAL mobilise également, pour chacun de ses investissements, des investisseurs providentiels locaux, hommes et femmes, dans une logique de partage du risque et de renforcement de l’impact. A titre d’exemple, le fonds a réalisé au mois de juin 2020, un investissement de 216 millions de FCFA dans une unité de recyclage de pneus. Ce montant est constitué de l’investissement de WIC CAPITAL, d’un groupe d’investisseurs locaux et d’un crédit tiré sur la ligne de la DER.
Comment les activités de votre plateforme ont-elles été affectées par la pandémie de la Covid-19 ?
La crise nous a conforté dans notre positionnement et notre orientation genre afin de contribuer à une reprise économique rapide et surtout inclusive dans nos pays d’activité. Dès les premiers jours de la crise, nous avons anticipé l’accroissement des inégalités liées au genre et que la plupart des structures de financement (banques, fonds d’investissement) allaient se replier sur leur portefeuille. Même les mesures prises par les gouvernements africains pour encourager l’octroi de crédits (garanties bancaires) ne bénéficient pas autant aux femmes chefs d’entreprise, qui n’étaient pas éligibles à ce type de financement avant la crise.
Avant la pandémie, les entreprises portées par des femmes opéraient à petite échelle et souffraient de leur manque de formalisation. Elles n’avaient pas accès aux financements ou aux ressources appropriées pour se développer et réaliser leur plein potentiel (RH, technologie, assistance technique, services de conseil…). C’est ainsi qu’en Afrique, le gap de financement pour les femmes était estimé à $42milliards et qu’au Sénégal, seules 3,5% des femmes chefs d’entreprise étaient financées par une institution financière (banque ou IMF).
Avec la crise du COVID-19, nous savons donc que ces entreprises sont moins susceptibles d’avoir une épargne sur laquelle se reposer et que, comme elles opèrent à 99% à petite échelle et de façon semi informelle, elles sont aussi moins susceptibles de bénéficier des plans nationaux d’aide économique.
Il y a donc une urgence à donner à ces entreprises accès au financement et à l’appui technique que nous apportons. C’est la raison pour laquelle nous avons réalisé nos premiers investissements en pleine crise COVID-19, et nous anticipons au moins deux investissements supplémentaires d’ici la fin de l’année.
Vous avez participé au conseil présidentiel sur la relance de l’économie. Comment WIC Capital compte-t-il jouer sa partition dans ce processus de reprise post-COVID-19 ?
Le Président de la République, utilisant une métaphore sportive, a parlé de passer en mode offensif ; ceci reflète parfaitement notre état d’esprit. Pour nous, avant comme après COVID-19, il s’agit de renforcer la participation des femmes au développement économique, en leur donnant accès au financement.
L’entrepreneuriat féminin représente encore une vaste source largement inexploitée de création d’emplois et de croissance économique, avec seulement 31,3 % des entrepreneurs sénégalais étant des femmes, qui opèrent généralement à petite échelle. C’est ce potentiel que nous comptons déployer, à travers nos investissements dans des secteurs clés pour le Sénégal.
Quelle appréciation vous faites du Plan d’actions prioritaire (PAP2-A) proposé par l’Etat pour relancer l’économie ?
Deux points clé de l’objectif de l’ajustement du PAP2 nous interpellent.
Il s’agit de Rétablir la trajectoire du pays : avant la crise, les indicateurs de croissance étaient au vert avec un PIB croissant à plus de 6% par an, une hausse des investissements directs étrangers, etc. Le Sénégal bénéficiait d’un cadre macroéconomique favorable au développement de ses entreprises qu’il va falloir contribuer à retrouver.
Ensuite, il s’agit d’avoir un secteur privé national fort qui portera le développement inclusif. Nous pensons que le développement de l’activité de capital investissement, plus particulièrement celui de fonds d’investissement ciblant intentionnellement les PMEs, renforcera ce secteur privé. En effet, les PMEs représentent l’essentiel du tissu économique, avec 90% des entreprises au Sénégal.
A votre avis quels leviers faudrait privilégier pour réussir la relance de l’économie ?
Trois leviers sont à privilégier, qui sont déjà pris en compte dans le document de présentation du PAP2.
– Favoriser l’investissement privé, avec l’Etat, pas forcément comme investisseur direct, mais comme « enabler ». Une des façons de faciliter serait, par exemple, la mise en place d’un cadre réglementaire et fiscal favorable et attractif. Ceci, en plus de permettre le succès des fonds locaux déjà existants, va favoriser l’émergence de nouveaux fonds et de tout un écosystème d’entreprises servant ce secteur.
– Faire un focus sur les PMEs, qui sont essentielles pour le développement du continent. Ce sont elles qui œuvrent dans les différents secteurs d’activité du PAP2, et ce sont elles qu’il s’agit de renforcer, pour qu’elles puissent à leur tour créer des emplois qualifiés et créer de la richesse pour le pays, tout en renforçant notre souveraineté.
– Cibler de façon très intentionnelle le développement des PMEs dirigées par les femmes. Celles-ci ne contribuent pas assez sur le plan économique. Alors qu’elles constituent 52% de la population, elles ne représentent que 31,3% des entrepreneurs locaux et le ratio emploi / population est de 57,5% pour les femmes, comparé à 81,4% pour les hommes.
Les cibler intentionnellement reviendrait à adopter une approche genre ou « gender lens » à l’ensemble des mesures prises : dans les investissements, les actions posées dans chacun des secteurs, et non pas seulement dans les mesures prises pour le secteur informel.
Entretien réalisé par la Rédaction:
Source : agence de presse financiere
Source : African Media Agency (AMA)