Les rumeurs le disaient en fuite, d’autres qu’il s’était réfugié dans un bunker du palais présidentiel de Koulouba. C’est finalement dans sa résidence de Sebenikoro, à Bamako, que le président malien Ibrahim Boubacar Keïta, 75 ans, au pouvoir depuis 2013 a été arrêté par des militaires mutins, vers 16 h 30, heure locale. Le chef de l’État se trouvait alors en compagnie du Premier ministre, Boubou Cissé, et de son fils, le député Karim Keïta, a affirmé à l’AFP un des chefs de la mutinerie.
Quelques heures après avoir été arrêté par des militaires en révolte, Ibrahim Boubacar Keïta a annoncé dans la nuit de mardi à mercredi sa démission et la dissolution du Parlement et du gouvernement. « Je voudrais à ce moment précis, tout en remerciant le peuple malien de son accompagnement au long de ces longues années et la chaleur de son affection, vous dire ma décision de quitter mes fonctions, toutes mes fonctions, à partir de ce moment », a dit le président Keïta dans une allocution diffusée par la télévision nationale ORTM. « Et avec toutes les conséquences de droit : la dissolution de l’Assemblée nationale et celle du gouvernement », a-t-il ajouté.
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« Nous pouvons vous dire que le président et le Premier ministre sont sous notre contrôle. Nous les avons arrêtés chez lui », avait déclaré un militaire ayant requis l’anonymat. « IBK (le président Keïta) et son Premier ministre sont dans un blindé en route pour Kati », le camp militaire Soundiata-Keïta de la banlieue de Bamako où la mutinerie a débuté dans la matinée, a affirmé une autre source militaire dans le camp des mutins.
Des propos confirmés par le directeur de la communication du chef du gouvernement malien, Boubou Doucouré : le président et le Premier ministre « ont été conduits par les militaires révoltés dans des véhicules blindés à Kati », où se trouve le camp Soundiata Keïta, à une quinzaine de kilomètres de Bamako.
Dans Bamako, les mutins ont été acclamés par des manifestants rassemblés pour réclamer le départ du chef de l’État aux abords de la place de l’Indépendance, épicentre de la contestation qui ébranle le Mali depuis plusieurs mois, selon la même source.
C’est l’aboutissement d’une crise déclenchée en juin avec l’éclosion d’une contestation lancée par une coalition hétéroclite de chefs religieux, d’hommes politiques et de membres de la société civile.
Le Mouvement du 5 juin (M5-RFP), en réclamant le départ du président Keïta, exprimait l’exaspération nourrie par les milliers de victimes ces dernières années des attaques djihadistes et des violences intercommunautaires, par le spectacle de l’impuissance de l’État, la crise des services publics et de l’école et la perception d’une corruption répandue. Mais aussi par une crise économique aggravée par l’impact de la pandémie de Covid-19.
Le week-end du 10 juillet, une manifestation avait dégénéré en trois jours de troubles meurtriers, les plus graves à Bamako depuis le coup d’État de 2012.
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Ce mardi soir, les condamnations sont unanimes. L’Union africaine (UA), les États-Unis ou la France… Tous demandent le retour à l’ordre constitutionnel et le retour des mutins dans les casernes. « Je condamne énergiquement l’arrestation du président Ibrahim Boubacar Keïta, (du) Premier ministre (Boubou Cissé) et (d’)autres membres du gouvernement malien et appelle à leur libération immédiate », a déclaré le président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat sur son compte Twitter. « Je condamne énergiquement toute tentative de changement anticonstitutionnel et appelle les mutins à cesser tout recours à la violence et au respect des institutions républicaines », a également réclamé le diplomate tchadien.
Une visioconférence des chefs d’État de la Cedeao sur « la situation au Mali » se tiendra jeudi sous la présidence du président du Niger Mahamadou Issoufou, a annoncé dans la nuit de mardi à mercredi la présidence nigérienne. Dans le même temps, la Cedeao a condamné mardi soir dans un communiqué le renversement du président malien. L’organisation régionale, dont le Mali est l’un des 15 membres, a aussi décidé la suspension du Mali de ses organes décisionnels et la fermeture des frontières terrestres et aériennes entre ses membres et le pays, et réclamé « la mise en œuvre immédiate d’un ensemble de sanctions contre tous les putschistes », selon le communiqué.
3/3:J’appelle la #CEDEAO, les Nations Unies et toute la communauté internationale à conjuguer efficacement leurs efforts pour s’ opposer à tout recours à la force pour la sortie de la crise politique au #Mali.
— Moussa Faki Mahamat (@AUC_MoussaFaki) August 18, 2020
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Avant même l’annonce de l’arrestation du président et de son Premier ministre, les pays de l’Afrique de l’Ouest, la France ou encore les États-Unis avaient exprimé leur inquiétude et dénoncé toute tentative de renversement du pouvoir. Le Mali est confronté depuis plusieurs mois à une grave crise sociopolitique qui préoccupe la communauté internationale.
Le président français Emmanuel Macron s’est entretenu de la crise avec ses homologues nigérien Mahamadou Issoufou, ivoirien Alassane Ouattara et sénégalais Macky Sall, et il a exprimé « son plein soutien aux efforts de médiation en cours des États d’Afrique de l’Ouest ». Le chef de l’État « suit attentivement la situation et condamne la tentative de mutinerie en cours », a ajouté la présidence française. Quelque 5 100 militaires français sont déployés au Sahel, notamment au Mali, dans le cadre de l’opération antidjihadiste Barkhane.
Le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, avait auparavant affirmé que la France condamnait « avec la plus grande fermeté » cette « mutinerie ».
Même son de cloche du côté de l’Union européenne « ceci ne peut en aucun cas être une réponse à la profonde crise sociopolitique qui frappe le Mali depuis plusieurs mois », a souligné le chef de la diplomatie de l’Union européenne, Josep Borrell.
Le Conseil de sécurité de l’ONU se réunira mercredi en urgence au sujet de la crise au Mali, où le président Ibrahim Boubacar Keïta et son Premier ministre ont été arrêtés par des militaires, a-t-on appris de source diplomatique. La réunion se tiendra à huis clos dans l’après-midi à la demande de la France et du Niger, qui préside actuellement la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao).
Peu avant son arrestation par les militaires, le Premier ministre Boubou Cissé leur avait demandé dans un communiqué de « faire taire les armes », se disant prêt à engager avec eux un « dialogue fraternel afin de lever tous les malentendus ». « Les mouvements d’humeur constatés traduisent une certaine frustration qui peut avoir des causes légitimes », avait estimé Boubou Cissé, sans plus de détails sur les raisons de la colère des militaires.
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Source : African Media Agency (AMA)